Aujourd'Hui Poème

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  • Elle avait pris ce pli : poème de Victor Hugo

    Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin
    De venir dans ma chambre un peu chaque matin ;
    Je l’attendais ainsi qu’un rayon qu’on espère ;
    Elle entrait, et disait : Bonjour, mon petit père ;
    Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s’asseyait
    Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,

    Puis soudain s’en allait comme un oiseau qui passe.
    Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,
    Mon œuvre interrompue, et, tout en écrivant,
    Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent
    Quelque arabesque folle et qu’elle avait tracée,

    Et mainte page blanche entre ses mains froissée
    Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.
    Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,
    Et c’était un esprit avant d’être une femme.
    Son regard reflétait la clarté de son âme.

    Elle me consultait sur tout à tous moments.
    Oh ! que de soirs d’hiver radieux et charmants
    Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,
    Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère
    Tout près, quelques amis causant au coin du feu !

    J’appelais cette vie être content de peu !
    Et dire qu’elle est morte ! Hélas ! que Dieu m’assiste !
    Je n’étais jamais gai quand je la sentais triste ;
    J’étais morne au milieu du bal le plus joyeux
    Si j’avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.

    Victor Hugo (1802-1885)

  • À Villequier : poème de Victor Hugo

    Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres,
    Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ;
    Maintenant que je suis sous les branches des arbres,
    Et que je puis songer à la beauté des cieux ;

    Maintenant que du deuil qui m’a fait l’âme obscure
    Je sors, pâle et vainqueur,
    Et que je sens la paix de la grande nature
    Qui m’entre dans le cœur ;

    Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
    Ému par ce superbe et tranquille horizon,
    Examiner en moi les vérités profondes
    Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ;

    Maintenant, ô mon Dieu ! que j’ai ce calme sombre
    De pouvoir désormais
    Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l’ombre
    Elle dort pour jamais ;

    Maintenant qu’attendri par ces divins spectacles,
    Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté,
    Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,
    Je reprends ma raison devant l’immensité ;

    Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ;
    Je vous porte, apaisé,
    Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire
    Que vous avez brisé ;

    Je viens à vous, Seigneur ! confessant que vous êtes
    Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant !
    Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,
    Et que l’homme n’est rien qu’un jonc qui tremble au vent ;

    Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
    Ouvre le firmament ;
    Et que ce qu’ici-bas nous prenons pour le terme
    Est le commencement ;

    Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,
    Possédez l’infini, le réel, l’absolu ;
    Je conviens qu’il est bon, je conviens qu’il est juste
    Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l’a voulu !

    Je ne résiste plus à tout ce qui m’arrive
    Par votre volonté.
    L’âme de deuils en deuils, l’homme de rive en rive,
    Roule à l’éternité.

    Nous ne voyons jamais qu’un seul côté des choses ;
    L’autre plonge en la nuit d’un mystère effrayant.
    L’homme subit le joug sans connaître les causes.
    Tout ce qu’il voit est court, inutile et fuyant.

    Vous faites revenir toujours la solitude
    Autour de tous ses pas.
    Vous n’avez pas voulu qu’il eût la certitude
    Ni la joie ici-bas !

    Dès qu’il possède un bien, le sort le lui retire.
    Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,
    Pour qu’il s’en puisse faire une demeure, et dire :
    C’est ici ma maison, mon champ et mes amours !

    Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ;
    Il vieillit sans soutiens.
    Puisque ces choses sont, c’est qu’il faut qu’elles soient ;
    J’en conviens, j’en conviens !

    Le monde est sombre, ô Dieu ! l’immuable harmonie
    Se compose des pleurs aussi bien que des chants ;
    L’homme n’est qu’un atome en cette ombre infinie,
    Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.

    Je sais que vous avez bien autre chose à faire
    Que de nous plaindre tous,
    Et qu’un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,
    Ne vous fait rien, à vous !

    Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue,
    Que l’oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ;
    Que la création est une grande roue
    Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu’un ;

    Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent,
    Passent sous le ciel bleu ;
    Il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent ;
    Je le sais, ô mon Dieu !

    Dans vos cieux, au delà de la sphère des nues,
    Au fond de cet azur immobile et dormant,
    Peut-être faites-vous des choses inconnues
    Où la douleur de l’homme entre comme élément.

    Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre
    Que des êtres charmants
    S’en aillent, emportés par le tourbillon sombre
    Des noirs événements.

    Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses
    Que rien ne déconcerte et que rien n’attendrit.
    Vous ne pouvez avoir de subites clémences
    Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit !

    Je vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme,
    Et de considérer
    Qu’humble comme un enfant et doux comme une femme,
    Je viens vous adorer !

    Considérez encor que j’avais, dès l’aurore,
    Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté,
    Expliquant la nature à l’homme qui l’ignore,
    Éclairant toute chose avec votre clarté ;

    Que j’avais, affrontant la haine et la colère,
    Fait ma tâche ici-bas,
    Que je ne pouvais pas m’attendre à ce salaire,
    Que je ne pouvais pas
    Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie
    Vous appesantiriez votre bras triomphant,
    Et que, vous qui voyiez comme j’ai peu de joie,
    Vous me reprendriez si vite mon enfant !

    Qu’une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette,
    Que j’ai pu blasphémer,
    Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette
    Une pierre à la mer !

    Considérez qu’on doute, ô mon Dieu ! quand on souffre,
    Que l’œil qui pleure trop finit par s’aveugler,
    Qu’un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre,
    Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,
    Et qu’il ne se peut pas que l’homme, lorsqu’il sombre
    Dans les afflictions,
    Ait présente à l’esprit la sérénité sombre
    Des constellations !

    Aujourd’hui, moi qui fus faible comme une mère,
    Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.
    Je me sens éclairé dans ma douleur amère
    Par un meilleur regard jeté sur l’univers.

    Seigneur, je reconnais que l’homme est en délire
    S’il ose murmurer ;
    Je cesse d’accuser, je cesse de maudire,
    Mais laissez-moi pleurer !

    Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière,
    Puisque vous avez fait les hommes pour cela !
    Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre
    Et dire à mon enfant : Sens-tu que je suis là ?

    Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes,
    Le soir, quand tout se tait,
    Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes,
    Cet ange m’écoutait !

    Hélas ! vers le passé tournant un œil d’envie,
    Sans que rien ici-bas puisse m’en consoler,
    Je regarde toujours ce moment de ma vie
    Où je l’ai vue ouvrir son aile et s’envoler !

    Je verrai cet instant jusqu’à ce que je meure,
    L’instant, pleurs superflus !
    Où je criai : L’enfant que j’avais tout à l’heure,
    Quoi donc ! je ne l’ai plus !

    Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,
    Ô mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné !
    L’angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,
    Et mon cœur est soumis, mais n’est pas résigné.

    Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame,
    Mortels sujets aux pleurs,
    Il nous est malaisé de retirer notre âme
    De ces grandes douleurs.

    Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires,
    Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin,
    Au milieu des ennuis, des peines, des misères,
    Et de l’ombre que fait sur nous notre destin,

    Apparaître un enfant, tête chère et sacrée,
    Petit être joyeux,
    Si beau, qu’on a cru voir s’ouvrir à son entrée
    Une porte des cieux ;

    Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même
    Croître la grâce aimable et la douce raison,
    Lorsqu’on a reconnu que cet enfant qu’on aime
    Fait le jour dans notre âme et dans notre maison,
    Que c’est la seule joie ici-bas qui persiste
    De tout ce qu’on rêva,
    Considérez que c’est une chose bien triste
    De le voir qui s’en va !

    Villequier, 4 septembre 1847.

  • Demain, dès l’aube : poème de Victor Hugo

    Demain, dès l’aube

    Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.

    J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
    Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

    Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

    Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

    Victor Hugo